29 janvier 2013

My part-time lover


Il est 18h00. J’ai revu ton visage épargné par la vie, l’océan de tes cheveux bruns qui tournoyaient par-dessus ton sourire, j’ai retrouvé en quelques secondes cette soumission dont j’étais la victime, ce dégoût, mêlé d’amour déçu et frustré, lié à ton image. Cet éclat dans la nuit, cette souffrance offerte à tous, de te voir si beau, toi qui causa tant d’horreurs. C’est toujours le même trottoir qui s’effondre sous mon poids, le même béton qui m’avale tout entière. Je me cause des ecchymoses en invoquant ton souvenir. Je suis restée les membres endoloris, la bouche sèche, abrutie à force de te regarder sur cette tranche de papier glacé. 

On est en janvier. La neige s’affale sur Paris qui se couche. Une blancheur inouïe par laquelle je me laisse porter. J’ai peur de subir les affres de la mémoire. Je suis morte sous cet arbre, morte d’avoir attendu après un sourire mensonger. Ô toi, noctambule féérique, charmant personnage glissant sur le sol sans y poser la pointe de ton pied. Ô toi, dangereux souvenir, né pour mourir entre mes pleurs. Ô toi, confusion des couleurs, abrutissement de l’amour, naïveté de la première fois.

Il fait sept degrés en dessous de zéro. J’avance en remuant le couteau dans ta plaie, j’avance en trébuchant sur les gens qui m’ont aimé et que par ta faute j’ai oublié. Je savoure le moment de cette vengeance. Sais-tu danser, toi mon beau cavalier ? Sors de ta tour, accorde-moi ta main dans un dernier mouvement, approche en rythme de la seconde sanglante. Ne bouge plus du cadre merveilleux dans lequel je t’ai apposé, toi la peinture du gouffre et de l’oubli.

Je l'ai croisé par erreur. J'ai replongé des semaines, des mois, deux années en arrière, l'année de mon bac. Salopard. 
  

20 janvier 2013

Ferré racontait des ragots, avec le temps va tout s'en vient...

Il est des moments où faire le point sur sa vie est un jeu sans conséquences, dont on rit ensemble autour d'un verre de vin blanc; où l'on se dit dans un éclat de rire que ça n'est pas grave tous ces projets tombés dans l'oubli. Que d'autres ont pris leur place et que c'est sans doute aussi bien comme ça. Ces moments, dans la moiteur d'un bar-restaurant au bord de la Gare Saint Lazare sont emplis d'une naïveté sciemment partagée et cultivée. Et il subsiste d'autres parcelles de remise en cause où tu n'es pas là, où le décor de cette salle aux chaudes couleurs, aux verres de vin a disparu. Laissant place à la noirceur de ma chambre, à mes draps qu'il serait temps de changer, à cette odeur récalcitrante de tabac froid sur les murs et les oreillers. Et dans un silence de nuit, la carte de l'Europe m’engloutit. Les traits de mon visage se déforment lentement au rythme des frontières jamais franchies, de ces espaces vides de tout souvenir, de ces lignes, ces noms qui nous faisaient rêver. Mais nos mains glissantes n'ont pas pu retenir cette fragilité de l'amour. Oui, c'était bien de l'amour; et tous riaient quand on énonçait notre rencontre, notre arrêt sur image durant ce premier repas partagé. Nous étions des âmes soeurs. Tout est dans le titre et Platon ne mentait pas nous en étions persuadées. Toi et ton impulsivité, moi et ma candeur. Deux soeurs mises sur la même route à un moment étrange de leur existence. Tu venais de quitter ta ville, ta région et tes souvenirs finissaient de disparaître avec ton arrivée à Paris. Je venais de trouver ma place dans ces murs de chaux grisés à la force des années; je venais de trouver ma place dans une foule sans lendemain. Et nous nous sommes rencontrées sous un sapin maintenant mort; jamais de ma vie je n'avais attendu autant de quelqu'un, jamais ma vie n'avait autant reposée sur les épaules d'un être vivant. Je me suis vue changer entre tes paroles, ma vie trouvait un sens parce que tu la comprenais; notre passé nous a liées. Toi comme moi nous étions amies pour la première fois.

Et je n'ai rien vu venir. Qui aurait pu? J'étais dans la Drôme à laisser ma peau dorer au soleil de ce mois d'août. Tu étais dans le pays Basque; animatrice d'une colonie d'adolescents. Et tu l'as rencontré, C. et son 1m80, ses sourires ravageurs, sa bonne humeur contagieuse et le bonheur partagé. Tu avais promis. Que rien ne changerait. Mais dès l'instant de cette rencontre je savais que je t'avais perdue et que seul le temps te permettrait de t'en rendre compte à ton tour. Il fallait sauver les meubles, rester digne, souriante et agréable. Mais tout se désagrégeait en moi, vous ne cessiez de me renvoyer à ma solitude permanente, à mon incapacité à être aimée, à aimer. Combien de fois en votre compagnie j'ai cru m'effondrer et pleurer jusqu'à disparaître? Mais les paroles auraient été futiles, et je sentais la colère se hisser entre nous. Impossible de dire les choses à cause de cette pelote de rage au milieu de la gorge, mais impossible de les cacher. Chaque moment en ta compagnie devenait insupportable car t'aimer revenait à me confronter à ton bonheur. Quelle sensation étrange de le vouloir et de te le reprocher. Je ne savais plus être ton amie. J'ai pris peur. J'ai déserté la vie et la ville au profit du noir et du silence. Moi que tout le monde reconnaissait grâce à mon rire. Tu n'as pas vu grand chose de cette descente aux enfers, des ces semaines sans manger, de ces malaises que j'ai évité au plus haut point; de cette blancheur qui s'incrustait sur mon visage, de cette fébrilité. Tu n'as rien vu -personne d'ailleurs- et ça m'arrangeait assez, de ne pas avoir à expliquer ce sentiment de laisser aller, cet abandon que tu m'infligeais, toi qui connaissait si bien mes peurs. Et pourtant j'ai souhaité si fort chaque matin que tu m'engueules, que tu cries, que tu remarques. Pour que tu me dises que ça n'allait pas et puis que tu prennes ma vie en main, que tu m'aides à remonter la pente, que tu m'obliges à être heureuse.

Ça fait déjà cinq mois que ça dure. Et j'attends toujours tes cris.

19 janvier 2013

And you learned that you can make me.

Évidemment j'aurais pu parler de cette nuit où nous avons tous croulé sous la neige, du moment où j'ai fermé les yeux si fort pour qu'elle reste jusqu'au lendemain, j'aurais pu m'étendre sur ce silence tamisé par une épaisse couche de neige hier soir vers 23h, ou parler de mon réveil émerveillé devant ce paysage résolument blanc. Mais des rêves agités m'ont tenus assise une bonne partie de la nuit. L'angoisse de la nouveauté, l'angoisse de me sentir bien je suppose. C'est surtout la peur panique que quelqu'un soit à l'origine de ce bien-être; l'abandon dont je dois faire preuve évidemment.. Mes vieux fantômes me rattrapent, j'ai beau les chasser d'un revers de la main ils s'agrippent. Je vis dans l'ombre de mes souvenirs, honteuse d'un passé que j'ai forcé à être beau, mal à l'aise devant le désastre de certaines périodes. Si j'en parle, ne fuira-t-il pas?
Et puis je suis sortie de mon lit tant bien que mal, la bouche sèche et les membres endoloris.

Un café.
Une clope.
La neige.
Le silence.

Et la contemplation de ce spectacle m'a amené plus loin que les frontières de France; sur mon balcon, cigarette au bout des doigts, je me suis vue à Montréal -ou Vancouver, Toronto, Calgary-. Déambulant tout une année dans cette atmosphère calfeutrée, presque intimiste; je me suis vue regarder la ville comme une enfant seule mais qui avait résolument trouvé sa place; ici, à 5000 kilomètres de mon pays. L'envie de la ramasser et d'en ramener à la maison comme un souvenir -si seulement cette neige pouvait ne jamais fondre-.

Je retrouve J. aujourd'hui. J'hésite à sortir les moonboots pour sortir aux Jardin des Tuileries... Comme toute frileuse qui se doit, je compte bien me transformer en pseudo-skieuse au moins par l'accoutrement.
En tant que second rendez-vous, sous la neige et dans la neige, c'est plutôt de bonne augure non? Cross the fingers. 

17 janvier 2013

Parler un peu de soi ?

Ça n'a jamais été une de mes grandes qualités. Je n'ai jamais vraiment parlé de mon enfance à quiconque, même pas seule quand je me parle. Peut-être est-elle trop brouillon et que je n'ai toujours pas su faire la part des choses? J'ai des cases pré-remplies pour éviter toute angoisse face à une question d'inconnu. Que fait ton père? Qui est ta mère? Comment étais-tu quand tu étais petite? Ce sont des sottises auxquelles je ne prends pas la peine de répondre en plus de quelques mots.

Comment étaler, devant des gens, ma vie -ô combien parfois- compliquée? Ils n'y comprendraient rien et ne feraient que poser de plus amples questions. Derrière ce sourire aux beaux fixes, cet humour strident et ce regard pétillant se cache toujours en tous lieux un gouffre glauque, empli de tâches blanches, comme des tumeurs. Ces tumeurs sont des interstices de bonheur, de vie sereine et calme.

Il m'est simplement impossible d'expliquer mon père et sa disparition. L'annonce de mon intellect supérieur comme un couperet de mise à mort. Les regards, ces regards qui comme des braises collent votre peau en dégradant l'épiderme. Voilà pourquoi j'ai caché ce que je suis réellement.

Une seule fois j'ai su mettre des mots -offerts aux regards de tous- sur S. -mon père-. Et c'était au concours de nouvelles de l'université. Quelle mascarade, écrire la souche de mon existence et la voir bafouée par de sombres érudits qui scandent que ça n'est pas dans le thème! Que connaissent-ils du thème d'une vie? Derrière leurs petites lunettes aux verres polis; se cachant dans les replis de leur connaissance des oeuvres classiques. Pourtant j'avais laissé mon coeur sanguinolent sur cette feuille, en décrivant ma honte, ma solitude et puis ce relâchement, cette plénitude lorsque le précipice est derrière soi.

Et ma plus grande réussite est la dissimulation. Je paraît plus âgée, j'en suis consciente et j'ai su en tirer des avantages certains. Personne ne me connaît. Parce que tous se contentent de savoir que je suis en avance. Mais ils n'ont aucune idée de ce que cela veut dire, ou représente. Je ne suis pas un génie, pas une bête de foire, je ne suis pas celle sur qui l'on peut tricher pour s'en sortir. Mais j'ai accepté tout ça par souci d’intégration, je n'osais simplement rien dire... Toute ma réussite est basée sur du vide, sur une absence. Où as-tu disparu QI impressionnant? 

Il m'est difficile de parler de moi parce que je m'éparpille, je ne sais jamais par où commencer, comment construire le récit de mon passé. C'est brouillon, éparse. C'est ma vie.

Nancy Sinatra - Bang Bang.


C'est le syndrome de Cendrillon : J'ai besoin que J. me sauve. Mais au fond, est-ce que cela importe que ce soit lui ou un autre?
 
Et sur cette chanson il déciderait d’en choisir une autre, une taillée pour résister à la compétition. Cette autre femme que je ne cesse d’imaginer dans mes nuits noires à marcher sur les trottoirs de la ville. Ce serait donc vrai qu’une peur se contente d’être le retentissement angoissant d’un évènement passé ? Je revois celle-ci comme si elle ne s’était jamais close. Elle déambule de toutes ses forces face à moi, aspergeant mon corps de toute sa haine, me projetant à des décennies de là.

Pourquoi j’ai si peur de ces autres qui tournoient autour de nous ? Elles me font douter de ma valeur. Ai-je seulement de la valeur ? Penses-tu que je suis quelqu’un ? 

Si je m'accroche un peu plus aux quelques personnes capables de me rassurer, j'ai peur qu'ils partent. J'ai peur de nouveau. Je réfléchis une seconde. Je ne sais pas si je dois fermer les yeux et arrêter de réfléchir pour de bon, me jeter dans des eaux sombres ou garder les yeux bien ouverts, me jeter dans mes bouquins et me battre.

Mais quand je n’écris pas des textes larmoyants je suis la joie de vivre, j’ai un sourire qui résiste depuis des lustres à des drames, des déceptions et des échec. « Je suis un soleil de matinée d’été » m’a-t-il dit un jour. C’était A. et ses belles déclarations… Il faudrait qu’il goûte à ma drôle de vie, qu’il regarde mon corps tournoyer sous la pluie, mes dents s’entrechoquer au son de mon rire, qu’il observe mes yeux et y voit tout ce qu’il y résonne, tout ce qui pourrait s’en dégager si l’on m’en donne l’occasion.

Et quand je m’observe je n’y arrive plus, pendant un court laps de temps et je ne vois plus qu’un corps hors des limites, une peau pleine d’écailles, une maladresse sans fond, une incapacité à aimer dans les normes, une affliction, une tristesse, une fausseté jusque dans le sourire.

16 janvier 2013

Parce qu'il faut bien commencer...

Je suis assise devant mon café froid depuis quelques heures. J'observe d'un œil gourmand le monde évoluant à mes côtés. Alors que sur mon ordinateur, la barre verticale clignote sur une page résolument blanche, je vois se remplir devant moi des tickets pris au verso. 3 tickets de restaurants où j'ai laissé glisser mon stylo -presque par mégarde- ce sera donc ça pour débuter. Je pense à J. que je vais rencontrer dans quelques jours, dans trois jours précisément.

Dans les différents cafés de Paris on devrait voir fleurir des tables ne possédant qu’une seule chaise. Une invitation à la solitude. Dans ce café, cela n’existe pas. Les gens seuls ne sont pas envisagés, il faut être deux ou plus pour se voir offrir le droit de boire un café en étant vivant. Un seul homme est comme moi, peut-être devrions-nous occuper une seule et même table ? Parce que le soleil débutait sa chute, il commençait à fondre au bout de mes doigts, laissant mon épiderme en proie au vent de Janvier. Voilà ce qui m'a conduite dans le premier café qui s'est présenté sur ma trajectoire pourtant bien calculée. Une forte odeur de nourriture m'enveloppe dès que la porte se referme derrière moi. On m'indique une table noyée dans un coin de la terrasse. Les prix ne sont pas sur la carte que l'homme en blanc laisse trainer sur la tablette en zinc. Par habitude c'est un grand café noir que je demande. Sans doute pour son côté réconfortant et familier. Mais leur café n’est pas bon. Et le serveur fortement pressé de vous le faire payer, cet ersatz de café. Aux alentours des tables rient, mais aucun ne se voit. Ordinateurs, tablettes, la naissance des êtres-objets, la présence rassurante d’une électrode qui chauffe remplace les regards et sourires enflammés. Des bulles incolores mais bien hermétiques nous enclavent ; personne ne pense à les percer, ce serait dépasser l’ordre social, se serait se hisser trop haut pour éviter une quelconque chute… Idiots nous attendons après des changements en tous genres. Mais ces changements nous effraient autant qu’ils nous séduisent. De la buée s'est formée sur les hautes vitres de la terrasse couverte. Être seule me donne l'occasion d'écouter autour de moi. Ces femmes qui sont parties il y a maintenant une dizaine de minutes parlaient bien trop fort pour ne pas désirer être observées. L’Afrique ceci, l’Europe cela, ce sont toujours les mêmes contrastes qui nous font nous insurger. Mais oublieraient-elles de voir à quel point le monde dans lequel la France nous plonge est beau ? Faire des malheurs de l’Afrique un symbole de vie heureuse, de valeurs pures est une erreur, une confusion des esprits occidentaux. Le jeune homme dans mon champ de vision est beau. À deux reprises il regarde dans ma direction, mais à quoi bon puisque notre rencontre s’arrête à ce furtif échange de regards. Il est temps que je parte. Ce café devient le lieu de toutes les divagations. Dressant mon regard vers l’homme en blanc je murmure « L’addition s’il vous plaît ! ». 

J'ai eu le temps de prévoir mon échec; de re-visualiser chacun de mes partiels de cette semaine et aucun ne vaut le coup, aucun ne me rend fière. J'attends les listes, de voir mon nom noyé parmis ceux des autres, tout ces autres -inconnus, ou connus pendant un temps- de constater l'échec, ou la réussite moyenne. Je resterai persuadée de l'aveuglement dont mes enseignants ont fait preuve si les chiffres sont hauts; il paraît que je souffre du syndrome de l'imposteur. Sans doute. Toujours est-il qu'un beau matin ils se réveilleront tous en réalisant que je ne suis pas ce génie auquel il m'associait. Déchue de son statut de zèbre - HPI ou EIP pour certains- je m'effacerai des mémoires en silence comme je sais si bien le faire.