20 janvier 2013

Ferré racontait des ragots, avec le temps va tout s'en vient...

Il est des moments où faire le point sur sa vie est un jeu sans conséquences, dont on rit ensemble autour d'un verre de vin blanc; où l'on se dit dans un éclat de rire que ça n'est pas grave tous ces projets tombés dans l'oubli. Que d'autres ont pris leur place et que c'est sans doute aussi bien comme ça. Ces moments, dans la moiteur d'un bar-restaurant au bord de la Gare Saint Lazare sont emplis d'une naïveté sciemment partagée et cultivée. Et il subsiste d'autres parcelles de remise en cause où tu n'es pas là, où le décor de cette salle aux chaudes couleurs, aux verres de vin a disparu. Laissant place à la noirceur de ma chambre, à mes draps qu'il serait temps de changer, à cette odeur récalcitrante de tabac froid sur les murs et les oreillers. Et dans un silence de nuit, la carte de l'Europe m’engloutit. Les traits de mon visage se déforment lentement au rythme des frontières jamais franchies, de ces espaces vides de tout souvenir, de ces lignes, ces noms qui nous faisaient rêver. Mais nos mains glissantes n'ont pas pu retenir cette fragilité de l'amour. Oui, c'était bien de l'amour; et tous riaient quand on énonçait notre rencontre, notre arrêt sur image durant ce premier repas partagé. Nous étions des âmes soeurs. Tout est dans le titre et Platon ne mentait pas nous en étions persuadées. Toi et ton impulsivité, moi et ma candeur. Deux soeurs mises sur la même route à un moment étrange de leur existence. Tu venais de quitter ta ville, ta région et tes souvenirs finissaient de disparaître avec ton arrivée à Paris. Je venais de trouver ma place dans ces murs de chaux grisés à la force des années; je venais de trouver ma place dans une foule sans lendemain. Et nous nous sommes rencontrées sous un sapin maintenant mort; jamais de ma vie je n'avais attendu autant de quelqu'un, jamais ma vie n'avait autant reposée sur les épaules d'un être vivant. Je me suis vue changer entre tes paroles, ma vie trouvait un sens parce que tu la comprenais; notre passé nous a liées. Toi comme moi nous étions amies pour la première fois.

Et je n'ai rien vu venir. Qui aurait pu? J'étais dans la Drôme à laisser ma peau dorer au soleil de ce mois d'août. Tu étais dans le pays Basque; animatrice d'une colonie d'adolescents. Et tu l'as rencontré, C. et son 1m80, ses sourires ravageurs, sa bonne humeur contagieuse et le bonheur partagé. Tu avais promis. Que rien ne changerait. Mais dès l'instant de cette rencontre je savais que je t'avais perdue et que seul le temps te permettrait de t'en rendre compte à ton tour. Il fallait sauver les meubles, rester digne, souriante et agréable. Mais tout se désagrégeait en moi, vous ne cessiez de me renvoyer à ma solitude permanente, à mon incapacité à être aimée, à aimer. Combien de fois en votre compagnie j'ai cru m'effondrer et pleurer jusqu'à disparaître? Mais les paroles auraient été futiles, et je sentais la colère se hisser entre nous. Impossible de dire les choses à cause de cette pelote de rage au milieu de la gorge, mais impossible de les cacher. Chaque moment en ta compagnie devenait insupportable car t'aimer revenait à me confronter à ton bonheur. Quelle sensation étrange de le vouloir et de te le reprocher. Je ne savais plus être ton amie. J'ai pris peur. J'ai déserté la vie et la ville au profit du noir et du silence. Moi que tout le monde reconnaissait grâce à mon rire. Tu n'as pas vu grand chose de cette descente aux enfers, des ces semaines sans manger, de ces malaises que j'ai évité au plus haut point; de cette blancheur qui s'incrustait sur mon visage, de cette fébrilité. Tu n'as rien vu -personne d'ailleurs- et ça m'arrangeait assez, de ne pas avoir à expliquer ce sentiment de laisser aller, cet abandon que tu m'infligeais, toi qui connaissait si bien mes peurs. Et pourtant j'ai souhaité si fort chaque matin que tu m'engueules, que tu cries, que tu remarques. Pour que tu me dises que ça n'allait pas et puis que tu prennes ma vie en main, que tu m'aides à remonter la pente, que tu m'obliges à être heureuse.

Ça fait déjà cinq mois que ça dure. Et j'attends toujours tes cris.

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