Il y eu la foule,
cette masse compacte formée autour de moi dont seuls deux visages ressortaient
vivants. Il y eu la chaleur dans cette salle aux allures de théâtre rénovée
pour la musique, cette vague chaleur qui peu à peu gagnait du terrain.
Confrontés à l’excitation que provoquait le groupe, les sons toniques qui nous
poussaient au-delà de nos capacités. A deux mètres, cet homme, chapeau cloué
sur la tête, chemise blanche et pantalon assorti, cet homme chantait parfois en
me regardant et je me sentais mal à l’aise de ne pas connaître comme tous les
paroles de sa chanson. Je crois me souvenir vaguement du morceau qui s’amorçait
lorsque mes yeux éblouis par une franche lumière bleue se sont évaporés. Et la
terreur m’a gagné à mesure que mon corps s’alourdissait, j’ai tenté pendant un
moment de lutté contre cette oppression maladive, ce dérobement dont j’étais
l’actrice et la spectatrice effarée. Je fixais les pieds de cet homme sur la
scène, dans l’espoir de retrouver une contenance, de me réapproprier ce corps
capricieux, ce corps ennemi que j’ai maltraité si longtemps. Mais rien n’y
faisait, il en était décidé ainsi :
je ne pourrais pas retenir le malaise. J’ai retrouvé la parole juste à temps ;
me tournant vers L. j’ai babillé quelque chose d’inquiétant et confus.
Fallait-il sortir de la salle, prendre l’air et regagner le concert par la
suite ?
Je ne sais si je m’y suis prise trop tard ou non. Je la vois encore dans le
brouillard opaque de cette pièce, me saisir par le bras en m’emmener vers la
sortie. « C. tu veux bien prendre mon sac,
elle ne se sent pas bien. ». Sans doute
rassurée par le ton tendre de sa voix, j’ai dû comprendre qu’il était temps de
cesser la lutte, de laisser tomber les armes. Les yeux clos à cause de la
faiblesse j’essayais de m’en sortir, au sens propre comme figuré, de m’extirper
de la foule sans dommage et de rester en vie. J’ai perdu le fil du moment,
j’ignore ce qui s’est dit et si l’on s’adressait à moi dans l’espoir de
m’entendre hurler que ça allait.
C’était fou. Sous
mes paupières se déroulait un spectacle hallucinant, des flashs violets,
uniquement violets, des paillettes peut-être. Une source d’angoisse. Mon corps
laissé à l’abandon, piétiné par la foule, bringuebalé de droit à gauche au bon
vouloir des spectateurs. Je ressens encore mes membres fébriles et vides ne pas
comprendre l’enjeu. Démunie, j’ai l’impression de tomber sans fin vers le sol,
que mes pieds ne savent plus ce que je leur ai appris. Et enfin le vide, le
silence, l’angoisse. La respiration saccadée, je n’entends même plus mon cœur,
tout disparait dans un même mouvement. Un bruissement sans fin s’attaque à mes
tympans. Quand enfin je reprends contact avec ma chair, quand je reprends
conscience de mon corps, je sens les bras d’un homme. Les bras permettent mon
envol maladif, je sens mes jambes quitter enfin le sol sur lequel je menaçais
de m’écrouler. Je sais que désormais je ne crains rien, cet homme entre dans ma
bulle éteinte et m’emmène vers un endroit calme et sur. « Lâche
le bras, lâche le bras » voilà tout ce qui
me parvient de ma tourmente. Quand je rouvre les yeux, mon cœur sorti de sa
cage se met à battre normalement. Le froid de la ville caresse mes jambes sous
mon collant noir. Ils sont là, mes sauveurs, mes héros, les témoins de mon
mal-être et de ma négligence envers mon corps. Ils m’observent d’un air inquiet
et tendre à la fois. Je suis jolie mais faible sans doute est-ce ce qui traverse
leur esprit. Il me pose, mon Hercule, sur les marches glacées du hall d’entrée ;
me tendant un verre de coca il débite les habituelles remontrances : « Vous
devriez prendre soin de vous ! Vous avez
mangé ?
Bu ?
Fumé ? ».
Non, non, non. Laissez-moi mourir sur ce trottoir, disparaitre dans ma fatigue,
m’écrouler de nouveau dans la rue et profiter d’un sommeil sombre et creux,
presque infini. Ils ne partent pas, de peur que je récidive. Mais personne ne
veut entendre qu’une fois le malaise passé, le système coupé et redémarré je ne
crains plus rien. Je suis hors d’état de me nuire. La nuit reprend son cours,
ma vie aussi. Et je ne dirais rien de tout ça à maman, elle s’inquiéterait bien
trop et me sermonnerait surement.