25 janvier 2014

L'éternelle litanie des feuilles mortes dans le vent.

Quel est mon héritage ? Que me laisserez-vous ? 
Comme la lourdeur d'un héritage, l'éternelle remontrance des sages, les baisers d'amants de passage, les discussions pleines de rage, la difficulté de fouler une plage. Comme la légèreté de la chair et du sang, l'illusion des amours lactescents, le départ de grand-père dans l'horreur des camps, le gout de la foudre sous la langue entre les dents, comme le bonheur d'avoir éternellement vingt ans. Ce n'est pas ma faute cette passation du désert, si je vois la vie à l'envers, si j'aime les gens à me perdre dans un verre, si je marche pieds nus dans la terre et me baigne habillée dans la mer.

Je ne me suis jamais posée pour t'écrire une seule seconde, décrire les traits de ton visage ou les innombrables grains de beauté que l'on a peint dans ton dos sans te le dire, que tu nous as légué à nous, tes enfants. Je ne me suis jamais arrêtée sur ton regard ou ton histoire, sur mon héritage puisqu'il faut le dire, puisqu'il faut rétablir la vérité sur notre lien, notre sang partagé, notre carnation imprimée par le soleil l'été ou la neige l'hiver, puisqu'il faut admettre que depuis toujours les gens, les passants, les amis ne cessent de s'écrier que je suis ton "portrait craché". 
Je ne suis pas toi, parce que tu es grand du haut de ton mètre quatre-vingt-trois affleurant le monde depuis ta hauteur, ta tour d'écailles; parce que tu es colérique, impressionnant quand tes traits se contractent, se crispent, s'irritent et se mettent à jaillir sur tes victimes, du haut de ta violence imméritée, resplendissante d'inutilité et de gravité; du long de mon indolence je n'atteins plus tes colères pourtant transmises à une période. Je voulais faire peur, que l'on me craigne comme je te craignais, comme je craignais de me recroqueviller pour ne pas que tu profites de ma faiblesse, de mes pleurs, pour que tu croies que les cris, les représailles me glissaient dessus, moi transformée en oeuf, en coquille vide. Je suis consternée en pensant à tes talents, des doigts d'or faisant du crayon une symphonie, une envolée brillante, lorsque l'aquarelle perçait tes yeux et éclaircissait le papier jusqu'à s'accorder à ta vision du monde. Je suis pantelante en imaginant cet amour qui un jour te fit prendre la décision de créer, de façonner un enfant puis un deuxième, bien que le second ait été malgré ta volonté; quand je me remémore tes pleurs brûlant la soie de tes jours, ta barbe noire des jours de retard, d'urgence, de départs annoncés, de maladie, de tristesse. Je me sens incapable de penser à toi comme à un homme maintenant que ton visage m'échappe, que j'ignore tout de toi jusqu'au nombre de tes cheveux gris, jusqu'à ta profession, jusqu'à ta vie de demain. 

Moi non plus je n'ai pas fait beaucoup d'efforts pour te rattraper. Je n'avais plus la force, plus l'envie ni le courage, je courrais en sens inverse contre le vent qui se lève pour vivre, je regardais mes pieds effrayée par le monde. Si bien que j'ai cessé de t'aimer sans cesser de souffrir, papa.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire